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« On veut amener les systèmes productifs vers plus de sobriété et de démocratie »

David Ben Haïm et Lucas Zufic sont accompagnés en Couveuse par Inter-Made, pendant un an. Tous deux ingénieurs, ils sont animés par l’envie de transformer durablement le tissu industriel local. Un projet ambitieux qu’ils nous détaillent dans cette interview.

En quoi consiste votre projet Amerma ?

LZ : Amerma est une association marseillaise. Son objet est l’étude, la promotion, l’accompagnement et la mise en œuvre de nouvelles approches productives compatibles avec la transition écologique et sociale des territoires, dans le but de produire de façon locale des biens et des services essentiels. Elle a été créée en août 2022 et compte aujourd’hui 21 adhérent·e·s. Nous avons trois types d’activités.

Le premier pan d’activité est la réalisation d’études. Nous avons par exemple travaillé avec l’ADEME, pour laquelle nous avons corédigé notre première publication sur le déploiement d’écosystème industriel low-tech en PACA. Il s’agissait de comprendre si la démarche low-tech pouvait être appliquée à une production industrielle de grande échelle. Car, à l’origine, elle concerne plutôt des initiatives citoyennes ou des bricoleurs engagés qui installent par exemple des fours solaires dans leur jardin. Nous trouvons leur démarche et leur philosophie intéressante, mais comment diffuser leur approche pour répondre aux besoins d’une population entière et l’intégrer à une transition des systèmes productifs ?

DBH : Nous ne sommes pas réfractaires aux solutions technologiques. Nous plaidons pour le techno-discernement. Ce qui nous intéresse c’est de choisir la bonne technologie pour le bon usage, et de produire de manière sobre et raisonnée. Nous travaillons désormais sur une autre étude ADEME à l’échelle de la Méditerranée occidentale pour caractériser de manière technico-économique des filières productives (industrie, agriculture, construction) low-tech qui se développent, pour identifier et analyser des bonnes pratiques et les diffuser à l’échelle régionale. Et stimuler des coopérations internationales qui soient horizontales. Notre objectif est de développer cette activité d’études pour les collectivités et les secteurs d’intérêt général comme la rénovation écologique, la mobilité durable, les circuits courts alimentaires, le textile circulaire, l’autoproduction d’énergie etc.

LZ : Notre deuxième type d’activité est le conseil à la réduction d’empreinte environnementale de TPE/PME industrielles par l’implémentation de démarches low-tech. Nous avons récemment signé un projet de diagnostic hydrique avec la Chambre de Métiers de l’Artisanat de région PACA (CMAR). Il s’agit de faire des préconisations sur la réduction de la consommation en eau d’entreprises de transformation alimentaire (boulangerie, glaciers…) accompagnées par la CMAR. Nous avons aussi un projet avec des acteurs du secteur textile tels que Canal 16 pour organiser un écosystème productif qui faciliterait la valorisation textile de déchets issus du nautisme. En tant que partenaire technique dans la mise en place de projets d’économie circulaire, on va réfléchir à une approche manufacturière, qui puisse permettre à tous ces acteurs de changer d’échelle.

Le troisième type d’activité, qui est selon moi l’élément différenciant d’Amerma, est la création de coopératives industrielles. Concrètement, nous souhaitons développer des plateformes techniques partagées par des acteurs d’un même secteur qui vont mutualiser du foncier, des équipements, des fonctions supports, des infrastructures, de la logistique, des compétences-clés… Cela aidera des petites initiatives pertinentes qui n’auraient pas accès à toutes ces ressources de manière individuelle, à grandir ensemble sans prendre de risques financiers trop importants.

Notre projet le plus avancé est CooTeRRE (Coopérative Technique de Rénovation et de Réhabilitation Exemplaire). Nous avons rencontré une centaine de structures dans la région qui œuvrent pour la rénovation et à la réhabilitation du bâti ancien en favorisant des pratiques écologiques et accessibles économiquement. Depuis, nous avons mis en place des ateliers pour concevoir collectivement la coopérative avec les acteurs existants de la filière. Nous étions une quinzaine de structures dans la communauté de préfiguration de la coopérative. Aujourd’hui, l’engouement est tel que nous sommes déjà 35 !

DBH : On commence aussi à travailler sur les questions de mobilité low-tech et sur l’alimentation solidaire. Ce que l’on veut, c’est réussir la transition écologique et sociale en transformant les pratiques de notre système productif vers plus de sobriété et de démocratie. Car actuellement, les citoyens ne sont pas associés aux choix productifs, ou sont trop déconnectés du monde industriel. On aspire aussi à créer des synergies entre nos différentes coopératives et les initiatives existantes.

Quelle est l’origine de votre projet et que signifie Amerma ?

DBH : Amermà en provençal veut dire "réduire, amoindrir, diminuer". C’est un mot en accord avec notre vision d’une société consciente de la nécessité de tendre vers une sobriété productive (agriculture, industrie, construction etc.) cohérente vis-à-vis des limites physiques de notre monde, et conditionnée par une réelle démocratie des techniques. Après avoir travaillé dans l’écologie industrielle et territoriale en Corse et à Marseille, j’ai fondé ICI Marseille, car j’étais séduit par le potentiel des manufactures de proximité et des fablabs sur la capacité des villes à se réapproprier leur production de manière conviviale. Puis j’ai cofondé Amerma avec l’économiste Renaud Vignes.

LZ
 : Après un début de carrière dans l’ingénierie navale dans le sud, et trois ans à travailler pour le Campus de la Transition en Ile-de-France, je voulais m’impliquer localement, à Marseille. J’ai rencontré David, via une réunion de Thalassanté (tiers-lieu à l’Estaque qui a fermé ses portes en 2022). Nous sommes tous les deux issus de Centrale Nantes, première école d’ingénieurs en France à avoir mis en place une spécialisation « Ingénierie des low-tech ». C’est en travaillant sur notre première étude pour l’ADEME que notre collaboration a commencé.

Que vous apporte l’accompagnement d’Inter-Made en Couveuse ?

LZ : L’accompagnement nous aide à structurer notre projet et à clarifier nos activités. Il y a tellement de choses à savoir quand on lance un projet associatif ! C’est important d’être accompagné. J’ai beaucoup appris sur le business model canva, le modèle économique, le plan de trésorerie ou la communication. On apprécie beaucoup nos rendez-vous individuels et on s’entraide mutuellement avec d’autres porteurs de projets. Avoir des bureaux au sein d’Inter-Made c’est aussi un plus, car cela nous donne un cadre et nous permet d’accueillir des réunions avec des partenaires. Et, pour ma part, je suis ravi d’être au conseil d’administration d’Inter-Made, car c’est une façon de m’acculturer aux sujets qui traversent une plus grosse association que la nôtre. Sans compter le réseau formé avec la Ruche Marseille, le Kiif… Et les apéros bien sûr !

DBH
 : J’ai déjà monté plusieurs entreprises, mais je me suis rendu compte que, malgré mon expérience, il me manquait des compétences. Je suis ravi de voir qu’Inter-Made partage nos valeurs et un enthousiasme vis-à-vis de notre projet. J’avais également un réseau professionnel local important, mais celui d’Inter-Made est particulièrement bienveillant et la Couveuse m’a permis de m’ouvrir davantage à la modélisation économique de notre activité. J’ai aussi beaucoup appris en termes de savoir-être, notamment de mon rapport au collectif.

Quelles sont les prochaines étapes pour vous ?

LZ  : Nous devons rendre notre étude méditerranéenne à l’ADEME en juillet 2025. Pour ce qui est de la coopérative CooTeRRE, nous visons une création et un début d’activité au deuxième trimestre. Cette année, nous avons répondu à de nombreux appels à projets, nous avons donc beaucoup de rendus en perspective. Nous avons l’ambition de pérenniser l’association, notamment avec l’embauche d’un premier salarié.

DBH : Nous sommes passés d’un collectif de réflexion presque informel à une structure bien formelle. Nous voulons que nos projets voient le jour, élire un conseil d’administration et relancer l’idée d’un centre de ressources techniques dédié aux moyens de production low-tech. Et faire la démonstration que notre vision économique est viable et compétitive avec le modèle actuel.


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