Safa Ben Khedher : « C’est un non-sens d’utiliser des matériaux neufs dans le secteur de la construction »

Architecte de formation, Safa Ben Khedher est actuellement accompagnée en Couveuse par Inter-Made. Doctorante, elle est en train d’inventer un nouveau métier dans le domaine du sourçage, du négoce et de l’économie des coûts des matériaux de réemploi, qui pourrait bien révolutionner le secteur de la construction.

Qui es-tu ?
Je suis architecte de formation et doctorante en architecture et ville sur le réusage. Le réusage est un concept opératoire que j’ai défini dans le cadre de ma thèse qui signifie « toute opération permettant un usage durable aux ressources existantes à proximité ». Il permet de dépasser la définition réglementaire très limitée du réemploi pour rejoindre celle des acteurs professionnels. La pensée de faire avec les ressources existantes est ancrée dans ma vie, depuis que parents ont construit une maison avec des matériaux de seconde main en Tunisie. Ma mère est également styliste modéliste et a toujours su revaloriser des chutes de tissu… C’est un non-sens d’utiliser des matériaux neufs, quand on sait que la construction est le secteur le plus émetteur de gaz à effets de serre au niveau mondial.

En quoi consiste REUSAGE ?
C’est un atelier de recherche et d’expertise dans le domaine du réemploi de matériaux et une jeune entreprise universitaire (J.E.U) que j’ai créée en 2024. Avec l’émergence et la multiplication des démarches de remploi des matériaux, les pratiques architecturales ont évolué et de nouvelles compétences ont émergé. REUSAGE vise à accompagner les acteurs de la construction dans cette transformation, tout en garantissant une équation économique soutenable. Je propose quatre offres de services : la recherche et développement (en particulier sur la manière de faire du réusage de manière soutenable sur le plan économique), la formation et la sensibilisation des acteurs, le conseil et l’accompagnement. Enfin, je propose une activité de sourçage, négoce et économie des coûts de matériaux de réemploi.

Actuellement, les matériaux de réemploi coûtent un prix équivalent ou supérieur à celui des matériaux neufset on a du mal à chiffrer les projets intégrant des matériaux de réemploi. Il faudrait qu’une fonction dédiée puisse évaluer en amont des projets ce qu’ils coûtent réellement, sur le plan environnemental (carbone et énergie), financier et à l’usage (exploitation, maintenance et entretien après livraison). L’objectif est d’évaluer ces coûts de manière globale, en tenant aussi compte des gains en carbone et en énergie apportés par les projets de réusage.

Que t’apporte l’accompagnement en Couveuse ?
Je suis partie de rien dans le monde de l’entrepreneuriat. Je savais que je voulais monter mon projet et que je ne voulais plus être salariée, pour avoir davantage de liberté dans mes choix de projets. La Couveuse me donne la possibilité de m’appuyer sur des moments forts, des rendez-vous mensuels, pour accélérer mon entreprise. Sans ce programme, je n’aurai jamais pris le temps de réfléchir à la comptabilité, à la communication et à mon pitch, par exemple. Les temps collectifs et individuels me permettent d’être autonome pour structurer mon projet et de prendre du recul. J’apprécie aussi les échanges entre entrepreneur.e.s au sein de la Couveuse, qui donnent des idées de mutualisation et d’échange, comme c’est le cas avec Amerma, qui travaille sur de nouvelles approches productives compatibles avec la transition écologique et sociale des territoires/

Quelles sont les prochaines étapes pour le développement de REUSAGE ?
Fin 2024, j’ai obtenu un premier financement pour réaliser une étude de préfiguration au métier de sourçage, de négoce et économie des coûts de matériaux de réemploi, de la part de l’éco-organisme Écominéro. L’objectif est de dresser un état des lieux, tester ce métier en conditions réelles sur trois gisements principaux (tomettes, pavés en pierres et briques pleines) et voir s’il peut être plus largement diffusé en Région Sud. Je suis en recherche de compléments de financements pour réaliser cette étude-action indispensable au développement du projet REUSAGE. C’est une démarche qui intéresse, car elle a été Coup de cœur du public des Prix Initiatives Circulaires, organisé par le réseau Preci. Je travaille également avec le CESI d’Aix-en-Provence, pour former et sensibiliser les étudiants, car l’enseignement sur le réusage est encore trop théorique, or il nécessite d’associer les entreprises à cette démarche.

Si le projet de Safa vous intéresse, contactez-la par mail à l’adresse suivante : faire@reusage.fr